vendredi 3 mai 2013

Bibou aux urgences : bienvenue au moyen-âge.

Oui, cette note est encore dans la catégorie "Bibou premier, roi des bébés", pourtant Bibou n'est plus un bébé depuis belle lurette. Bibou est même un super grand petit garçon (oui, c'est un concept), qui a l'âge de se coincer le doigt dans la porte et de parcourir les services des urgences option voyage dans le temps et retour au moyen-âge.
Mais que je t'explique...

Dimanche dernier, nous étions chez ma mère-grand en famille, et un peu avant l'heure de l'apéro du midi (on a les repères qu'on peut) je retrouve Bibou en larmes dans la salle de bains, la main droite sous l'eau fraîche du robinet. Joli réflexe, Bibou, mais pourquoi ne pas être venu me voir ? Tout simplement parce que Bibou a fait une bêtise : il sait très bien qu'il n'avait pas le droit d'aller dans le garage, alors quand il s'est coincé le doigt dans la porte après le "ouiouiouilleuh", il s'est dit "oups j'vais me faire gronder", donc il a essayé de gérer ça tout seul. Oui, faites le 119, cet enfant souffre et il est terrorisé par ses parents. C'est moche. Ma première réaction à moi, ça a été de me dire que s'il avait cogité tout ça dans sa p'tite tête, c'est qu'il ne devait pas avoir trop mal... Et puis après m'avoir montré la petite trace rouge sur la pulpe de son annulaire, il a retourné sa main, et j'ai vu son ongle. Noir. Avec la peau violette et boursoufflée autour. OK, OK, pas de panique. Bibou, tu peux bouger le doigt ? Oui ? Non ? ... Non.
OK, OK, maintenant je panique.
Pas le temps de se poser trop de questions : direction les urgences de Boulogne-sur-Mer.




Et là, comment dire ? Non, pas de pratiques moyenâgeuses, au contraire j'ai l'impression d'être dans un épisode d'Urgences : tout est propre, calme, une infirmière nous prend en charge assez vite, on patiente dans une salle d'attente claire et tranquille, avec 2 autres personnes. Un gentil interne en baskets vient nous chercher au bout de 10 minutes, il ausculte Bibou, me rassure : pas de fracture, et nous explique qu'il fait faire un petit trou dans l'ongle pour que le sang coincé en dessous puisse sortir.
Une infirmière vient l'aider : elle installe un tissu absorbant sous sa main et prépare des compresses tandis que l'interne sort une sorte de petit stylo chauffant pour percer l'ongle. 5 minutes plus tard, c'est fini : le plus douloureux pour Bibou a été de voir l'interne presser doucement son doigt pour faire sortir le sang, ça n'a pas duré longtemps. L'infirmière lui donne un calmant, et zou, nous repartons. Je me sens un peu bête d'être venue aux urgences pour si peu, mais le médecin me rassure : impossible de savoir avant auscultation si c'était grave ou pas, et sans une intervention rapide la poche de sang aurait gonflé et aurait fait tomber l'ongle, il aurait de toute façon fallu intervenir plus tard dans ce cas et ça aurait été plus grave. Ouf.
En passant près de l'héliport, nous voyons un hélicoptère atterrir, très impressionnant, ça en rajoute au côté "tatatataaaaaaaaaaaa Urgeeeeeences tatataaaaaaa" même si ça n'est pas drôle du tout pour le blessé à l'intérieur...
Bibou n'a pas le temps de réaliser : les calmants font effet, il écrase dans son siège auto...

Fin de l'aventure ? Hélas non.
Et c'est là que ça se corse...
Mardi soir, le doigt est bien gonflé. Mercredi, pas mieux. Jeudi matin (hier, donc, tu suis ?) je passe des coups de fil pour lui trouver un rendez-vous chez le médecin : pas de place avant samedi ! Et, pas de bol, dans la journée du sang perle sous son ongle. Et Bibou a mal. De retour à la maison, il faut se rendre à l'évidence : un passage aux urgences s'impose... J'emmène barres de céréales, bouteille d'eau, jeux et carnet de santé et on y va. Il est 18h45. Sur la route de l'hôpital, je passe devant 2 cabinet de médecins (le généraliste et le pédiatre) et je tente ma chance : pas moyen. Bon, ben... OK, on y va alors...


Nous arrivons aux urgences pédiatriques à 19h00. Là-bas, on nous dit que "c'est chirurgical", donc il faut aller aux urgences "normales". Nous y allons. On nous y dit que non, y'a à priori pas de fracture, donc il faut retourner en pédiatrie. On y retourne. On nous y redit que ça ne concerne pas les urgences pédiatriques qui ne peuvent pas prendre en charge toutes les pathologies : OK, OK, on retourne aux urgences adultes, tout cela toujours à pieds et avec un Bibou qui pleure et qui flippe, tout va bien. Je suis à nouveau à l'accueil des urgences, je n'en bougerai plus, qu'on se le dise. L'infirmière m'enregistre enfin : super, il est presque 19h30, avec tout ça on revient à la case départ, youpi... Les urgences sont bondées, la salle d'attente est glauque avec une télé qui diffuse Direct 8 sans le son (remarque que je préfère sans le son vu le programme...), il y a des fauteuils et des brancards un peu partout jusque dans le couloir d'accueil et des gens qui s'impatientent et qui râlent parce qu'ils attendent depuis trop longtemps. Ambiance...
Je passe sur le temps d'attente, long, bruyant, inconfortable, on vient nous chercher pour faire une radio. Hein ? Mais y'a pas de fracture ! "Ah mais ça on peut pas savoir Madame." Ben si, on peut : il bouge son doigt sans problème, et n'a pas mal sauf quand on touche à la boursouflure autour de son ongle, et il a déjà été vu par un médecin il y a 4 jours qui a conclu à l'absence de fracture, mais tant pis, hein, c'est pas grave, on va faire une radio quand même, c'est pas comme si ça allait faire perdre du temps et de l'argent à tout le monde... Bref. Salle d'attente en radiologie, toujours une télé mais qui diffuse les infos et avec le son (Vite, une diversion, y'a des images pas adaptées du tout au Bibou, là, et il commence à flipper sévère, mais on n'est plus à ça près !), on fait les radios, ah, tiens, il n'y a pas de fracture, étonnant ! Et on retourne en salle d'attente des urgences. Joie.
Assise en face de nous, toute une famille attend depuis 2 heures : le papa s'est ouvert la main, la maman est allée acheter de quoi manger au Mac-Do, et comme il y en a trop elle en donne un peu à Bibou. Merci Madame, les barres de céréales ne suffisaient plus. Bibou joue un peu avec les deux garçons, ça discute Minecraft et j'entends mon Bibou qui n'en est décidément plus un expliquer que "les zombies moi j'les tue mais un truc de ouf !", j'en avale mon Granny de travers...


Ah, on nous appelle ! Une infirmière nous accompagne dans un box. Ah non, il est occupé. Un autre ? Il faut d'abord qu'elle le débarrasse. On attend dans le couloir, entre un papi qui tremble et pleure dans un fauteuil et une dame qui geint dans son brancard. Super. Je sens Bibou se décomposer. Ouf, on entre dans le box, Bibou s'allonge sur le brancard, et nous attendons. L'infirmière débordée fait des aller-retours entre "notre" box et le couloir, elle sort aiguilles, compresses, médicaments, bandes souillées qu'elle laisse sur la table à côté de nous, pas le temps de ranger... Super. 
On attend. 
On attend. 
On attend.
Un interne arrive, débordé. Ils ne sont que deux médecins pour les urgences, et ça s'entasse dans le couloir. Il regarde le doigt de Bibou, m'annonce qu'il va falloir à nouveau percer l'ongle pour faire sortir le sang, et puis ce sera fini. Très bien. Il va revenir quand l'infirmière sera disponible pour le faire avec elle. En attendant, il remplit le dossier de Bibou sur l'ordinateur. Il repart, laisse la cession ouverte : devant moi s'affichent les noms de tous les patients en attente de soins aux urgences. Confidentialité : impec' ! A côté des noms, le temps écoulé depuis l'enregistrement à leur arrivée : 2h55 pour nous. Je lis : 9h25, 10h40, et... 16h50 (!!!) pour d'autres patients. Terrible.
Bibou s'est endormi, vaincu par KO par les émotions et le temps qui passe.
Il dort, et moi j'attends. Pas moyen d'envoyer un message à son père pour lui dire où on en est. Dans le couloir, une vieille dame appelle sans cesse une infirmière, un docteur, pour qu'on prévienne ses enfants. Trois fois déjà qu'on vient lui dire qu'ils ne peuvent pas encore lui rendre visite, trois fois qu'elle n'écoute pas et qu'elle continue à ressasser la même demande. Je sens la fatigue et le découragement me gagner. Une petite demi-heure plus tard, l'interne revient, enfin, avec l'infirmière qui ne peut pas rester : elle est attendue ailleurs. Le médecin va se débrouiller tout seul, avec moi.
Et là, je frémis... Pour percer l'ongle de Bibou, l'interne sort un trombone déplié chauffé à la flamme d'un briquet. Je ne plaisante pas. C'est VRAIMENT un trombone déplié qu'il passe et repasse à la flamme d'un briquet de poche. Je n'en reviens pas. L'interne non plus, qui me dit que "c'est le moyen-âge ici". Je lui demande si Bibou va avoir une feuille de coca à mâcher pour calmer la douleur. Il rit. Jaune. Il me dit qu'il est le premier désolé de la situation. Moi, je crois que le plus désolé dans l'histoire, c'est Bibou. Il s'est réveillé et il tremble. L'interne s'approche de lui, j'attrape en vitesse deux feuilles d'essuie-mains pour les glisser sous sa main : pas de protection, pas de compresse, débrouille-toi toute seule, tiens...
Et là, autant jusqu'à présent je plaignais les soignants de devoir bosser dans des conditions pareilles, autant quand l'interne a enfoncé le trombone chauffé dans l'ongle de Bibou, je l'aurais étripé. Il y avait déjà un petit trou, percé 4 jours avant. Il a enfoncé le trombone si loin que Bibou s'est raidi dans mes bras, a hurlé, et quand le sang s'est mis à couler il ne pouvait rien crier d'autre que "j'ai mal, ça brûle sous mon ongle, j'ai mal !"
A l'écrire, j'ai à nouveau mon ventre qui se serre et les larmes aux yeux. Mais l'interne est déjà reparti. L'infirmière passera faire un pansement et nous pourrons rentrer. En attendant, Bibou pleure et tremble, les gouttes de sueur perlent sur son front et je ne peux rien faire pour l'apaiser. Le sang coule. Tant pis si je n'ai pas le droit, je m'en moque, quand l'infirmière est passée prendre du matériel j'ai eu le temps de voir où tout était rangé : j'ouvre les tiroirs, je fouille, j'attrape des compresses et j'éponge. Je n'en reviens pas que les seringues, les médicaments, les crèmes soient à ma disposition, comme ça. Mais là tout de suite, ça m'arrange, parce que ça dégénère méchamment dans le couloir : la vieille dame crie de plus en plus fort et en boucle qu'elle va crever ici, qu'elle veut qu'on appelle ses enfants, une dame visiblement sous l'emprise de je ne sais quelle drogue fait ses besoins au milieu du couloir et frappe les infirmiers qui essayent de la contenir, Bibou veut se boucher les oreilles pour ne plus entendre tout cela mais il a trop mal au doigt pour le faire, il pleure, il a peur, il a mal, il veut rentrer. Je suis à deux doigts de craquer et à le voir si mal j'ai les larmes qui me montent aux yeux. Alors je m'active : je nettoie son doigt, je le berce, lui raconte une histoire dans le creux de l'oreille pour couvrir les bruits du couloir. Ça dure un temps interminable. Je vois l'infirmière qui galope dans le couloir, elle n'est pas là de nous faire le pansement. C'est long.
Encore trois quart d'heure et enfin elle souffle, l'infirmière. Moi aussi du coup. Elle vient faire un bandage à Bibou, qui a peur : est-ce que son ongle va tomber ? Est-ce qu'elle va lui faire mal ? Avec des gestes aussi rapides qu'efficaces, elle le panse et le rassure : on va changer le pansement tous les jours et le gros bobo va partir. Moi, je vois juste que le sang coagule déjà et que le doigt n'a pas entièrement dégonflé, et j'ai peur de me retrouver face au même problème dans 2 jours... Elle me rassure également : l'hématome va rester, et la couleur grise de l'ongle aussi, mais pour le reste, tout va bien.
On va pouvoir rentrer à la maison.
Il est bientôt minuit.

Nous retraversons la salle d'attente des urgences, les copains de Minecraft sont toujours là, leur papa ne sera sans doute pas pris en charge avant 4h du matin si j'en crois ce que j'ai lu sur l'ordinateur. Je n'ai pas le cœur de le leur dire, je leur souhaite bon courage, laisse mes stylos aux enfants pour qu'ils puissent dessiner un peu en attendant.


Bibou marche au radar, nous rentrons à la maison.
A minuit passé, je peux enfin lui donner une dose de Doliprane.
Il s'effondre dans son lit.
Demain va être une dure journée.

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